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LES Alaouites. /10-1 de 1664 à nos jours.

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Soubise
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LES Alaouites. /10-1 de 1664 à nos jours.

Message : # 15740Message non lu Soubise

La dynastie des Alaouites. De 1664 à nos jours.
Première partie.1636/1820.
Comme nous l'avons vu dans la planche /9 sur les Saâdiens et une fois encore à la fin de leur règne, l'anarchie est omniprésente et la catastrophe est pleine et entière.
El Mansour le dernier grand régnant de cette dynastie est mort en 1603, ses trois fils, Moulay Zidane sultan de Fès, Abou Faris sultan de Merrakech et Al Mamoun le débauché s'entredéchirèrent.
Al Mamoun aidé par les Espagnols en échange de la ville de Larrache, reprit Fès. Il fut assassiné en 1613 et son fils Abdallah lui succéda jusqu'en 1623 dans un climat de haine et de règlements de comptes.
C'est ainsi que sans grande gouvernance les pirates de Salé, les zaouias rebelles d'El Ayachi, les Soufies de la zaouia de Dila, d'Illigh et la tribu arabe Alaouite, finirent par instaurer le chaos.
C'est donc dans ce désordre que la tribu Alaouite tenant sous le joug toute la région de la vallée de Sous et du Tafilalet, qui n'est autre au départ qu'une tribu guerrière, renégate au régime et qui ne vit que de rapines et de vols profite de l'opportunité qui lui est offerte pour affirmer ses ambitions de conquêtes, bien aidée par une croyante mystique qui les voulaient descendants du prophète Mohammed par sa fille Fatima qui a épousé Ali, ce qui les a bien aidé... d'où le nom d'"Alaouite"
Nous noterons au passage que les alaouites comme leurs prédécesseurs sont arabes et que jamais plus les berbères ne reprendront la main sur le pouvoir au Maroc.
La ville de Fès et la Zaouia berbère de Dila furent très amoindries sous le commandement du chérif Alaouite Moulay ali-Chérif qui amplifia la grandeur de la tribu pendant cinq années.
La zouia de Dila ayant auparavant vaincu la zaouia d'El Ayachi et porté un coup d'arrêt fatal aux dernières forces des Saâdiens.


C'est le fils de Moulay Ach-chérif, Moulay Mohammed, homme valeureux à la stature impressionnante qui se proclama le premier Sultan de cette future dynastie.
Tout le nord du Maroc de l'époque était pratiquement conquit, la ville de Oujda était prise, mais sa conquête vers l'Algérie s'arrêta devant les forces Ottomanes et il dut renoncer.
Pourtant un dernier sursaut des forces Dilaïtes vint à bout de la ville de Sijilmassa qui fût détruite et pillée.( il reste aujourd'hui quelques ruines à visiter).
Les historiens ont peu de précisions sur sa fin, mais ce fût son frère en second Moulay Rachid ( 1664-1672)qui acheva la tâche et en huit années, il imposa son autorité sur le Maroc.
C'est en contrôlant le commerce Saharien de la route caravanière du Sahara au sud à l'embouchure de la Moulouya en passant par le Tafilalet au nord, qu'il transformât les gains en hommes et en armements.
Il élimina les derniers Dilaïtes en 1668 et rasât toutes traces de la zaouia de Dila.
L'année suivante ,c'est la ville de Marrakech qui céda et ainsi le pays était à nouveau réunifié en une seule et grande entité,après cette longue période
de "bled siba" (anarchie).
Moulay Rachid mourut par accident de cheval à 42 ans, en 1672.

C'est donc son demi frère Moulay Ismail( 1672-1727) qui lui succéda, non sans peine, puisque le fils de Rachid, Amhed revendiquât la succession de son père et ce " à toi à moi " dura près de 14 ans.
Moulay Ismail, avait à Marrakech un harem de 500 femmes et 800 enfants, grand bâtisseur de prisons,il possédait une armée de 150.000 esclaves noirs
les Abids et avec eux il maintenait la répression du peuple.
Pendant cette même période, la tribu berbère des Sanhadja ne se laissa pas dominer facilement et ce n'est qu'en 1693 que Moulay Ismail à la tête d'une très grosse armée aidée par l'artillerie mit fin à cette rebellion.
Il dût également poursuivre la guerre sainte dont la victoire inachevée maintenait encore en place quelques forces chrétiennes.
C'est ainsi que en dix ans les villes de Medhia, de Tanger, de Larache et Azila se plièrent à son drapeau.
Restaient encore sous couleurs Espagnoles les villes de Ceuta et Melillia.
Le siège de ces deux villes dura 27 ans mais ne cédèrent pas.
Contraint de reculer devant les forces turcs au delà de ses frontières de l'est, il renforça ses positions sur la Moulouya et augmentât le contingent de son armée.( jusqu'à 150000 hommes.)
L'age d'or, c'est ainsi que l'on appelât cette époque propice à tous les commerces, qu'ils soient Sahariens ou Européens, tous les produits transitaient par le royaume.
Les villes portuaires de Salé, Safi, Tétouan, Tanger prenaient leur essor et or, miel, ivoire, plumes d'autruches, cuir, épices et amandes etc... dans un sens et poudre, armements, étoffes, produits usinés etc... dans l'autre sens.
Les pays amis étaient tous représentés par les consulats et de nombreux comptoirs commerciaux furent crées et ce jusqu'à l'interruption des bonnes relations en 1700, cela dura 40 années.
L'age d'or s'étendait pour le Maroc de la Méditerranée aux rives des fleuves Sénégal et du Niger.

A la mort de Moulay Ismail en 1727 vint le temps de l'incertitude.
Pendant trente années les sept fils de Moulay Ismail se battirent entre eux pour le pouvoir, aidés en cela par les officiers de l'armée qui fit monter et descendre les Sultants de leur trône tout en asséchant le trésor...Mais la dynastie Alaouites résistât à tous ses mauvais coups.

C'est donc en 1757 que sous le règne et la reprise en main de Sidi Mohammed Ben Abdallah 1757-1790)que le Maroc redevint prospère, après bien sur une purge opérée dans les rangs de l'armée.
Le commerce reprit comme avant après un traité de paix avec la France et l'Espagne.
Il libéra Mazagan (El Jadida)des Portugais.
En 1777 le Sultan fût le premier à reconnaitre les USA.
Il repensa complètement la ville de Mogador (Essaouira) qu'il fit rebâtir par des esclaves chrétiens menés par l'ingénieur Français Cornut .
On lui doit également le quartier portuaire de Dar el beida (Casa).
Il s'éteint en 1790 laissant derrière lui un état reconstitué économiquement.

Le bref règne de deux ans d'un de ses fils Moulay Yazid ( 1790-1792) fut court et marqué par de nouvelles guerres contre l'Espagne, un soulèvement des tribus du sud et la rébellion de son frère Slimane, l'amenèrent à attaquer Marrakech ou il reçut une balle dans la tête qui lui fût fatale.

C'est donc un autre de ses frères Moulay Slimane qui lui succéda de 1792 à 1822.
Cependant ces trente années ne furent pas une sinécure puisque d'une part de confession Wahabites il se mit à dos, les autres factions islamiques et d'autres part les différentes tribus berbères reconstituées entrèrent en opposition.
Par deux fois et deux victoires, il mit fin à la résistance Rifaine, mais d'autres tribus entraient aussi en rébellion.
Il est clair que les Berbères n'avaient pas encore digérés la domination Arabe.
Les Aït Atta attaquèrent le Tafilalet et prirent Sijilmassa.
Dans la région de Meknès, les Zemmour, les Aït Yemmou, les Guérouanes, les Zaïans et les Béni Mguild lui donnèrent beaucoup de fil à retordre.
La grande famille des Zenètes alliés aux Sanhajas, soit une dizaine de tribus battit l'armée de Moulay Slimane, le fit prisonnier et assassinat son fils et seul héritier.
Et c'est fort de la croyance que la famille Alaouite descendait du prophète que les insurgés vainqueurs, respectèrent le souverain, ce qui permit à la dynastie Alaouite de continuer à régner encore un moment...
Rien n'était figé puisque le chef des révoltés Abou Amhaouch aidé de la confrérie d'Ouezzane prirent la ville de Fèz( 1820 ) et déposèrent définitivement le Sultan Moulay Slimane.
Fin de la première partie.

Exil des alaouites, la vraie histoire par Hassan Hamdani & Mehdi Michbal.
Pour étouffer le désir d’indépendance du Maroc sous protectorat, le sultan Mohammed V est expédié par la France en Corse, puis à Madagascar. Il part en victime du colonialisme et revient en héros de la nation. Récit de ses années d’exil.

Le 20 août 1953, la veille de l’Aïd El Kébir, 22h07. Un DC3 atterrit sur l’aérodrome de Campo del Oro à Ajaccio. Le sultan Mohammed Ben Youssef est à son bord, le prince héritier l’accompagne, le reste de la famille et sa suite sont aussi du voyage. Le vol a duré 7 heures dans un confort spartiate, militaire. La famille royale a fait Rabat-Ajaccio à bord d’un avion qui accueille en temps ordinaire les parachutistes de l’armée française. “Des policiers français chargés de notre surveillance passaient sans un regard, tenant à la main des sandwichs au jambon. Bref, ça sentait le troufion”, raconte Hassan II dans La mémoire d’un roi.
C’est que le sultan n’est pas en voyage d’agrément. Bien au contraire. Il vient d’être destitué par la France. Une poignée d’heures plus tôt, des engins blindés encerclent son palais de Rabat. Le général Guillaume, résident général, vient réclamer son abdication, condition sine qua non, selon le protectorat, pour mettre fin aux troubles. Le sultan refuse depuis un certain temps de désapprouver l’Istiqlal, vecteur des revendications nationalistes, et louvoie pour éviter toute condamnation ferme de la violence. Mohammed V refuse d’abdiquer. Le couperet tombe. Le général Guillaume, pistolet à la main, lui annonce sa destitution et l’obligation de quitter le royaume. Avec effet immédiat et départ sur le champ. Une limousine noire et huit cars de police l’attendent à l’extérieur du palais pour l’accompagner à l’aéroport militaire de Rabat.
Aux environs de 15h, c’est un sultan qui décolle du Maroc. En ce début de soirée corse, c’est un homme inquiet du sort qu’on lui réserve qui atterrit à Ajaccio. Sur le tarmac, l’attendent le préfet de Corse et un détachement de gendarmes mobiles, prêts à lui rendre les honneurs. Mohammed V, “craignant qu’il s’agisse d’un peloton d’exécution, refusa de descendre de l’avion (…) Il n’aurait accepté de débarquer qu’après que toutes les garanties lui aient été données”, écrit dans ses mémoires le haut fonctionnaire de l’Intérieur, Jean-Emile Vigié, chargé de coordonner l’arrivée du sultan en Corse.

Zonza ? C’est où Zonza ?
Une fois le pied posé sur l’île, Mohammed V snobe le dîner offert par le préfet en refusant de manger. Le prince héritier, affamé, dévore quant à lui tous les plats. Il se fait sermonner par son père qui trouve l’appétit de son fils déplacé après les évènements de la journée : “Mais vous n’avez aucun amour propre, comment vous et votre frère pouvez trouver le moyen de manger comme des ogres dans des circonstances pareilles, ce n’est pas croyable”, s’indigne-t-il. Moulay Hassan, embarrassé, se dérobe : “Ecoutez, sire, ils ont voulu nous tuer avec ce voyage, je ne vais pas leur donner en plus le plaisir de mourir de faim”.
Mohammed V est l’hôte du préfet une quinzaine de jours. Mais le haut fonctionnaire se fait du mouron. La présence du sultan destitué et de sa nombreuse suite fait désordre au palais Lantivy qui abrite les locaux de la préfecture. Qui plus est, le préfet est “très inquiet du problème du règlement des frais importants qui en résultaient”, rapporte Jean-Emile Vigié. Il sollicite et obtient l’autorisation de l’installer dans l’arrière-pays corse. Fini le confort douillet des lambris de la république. Mohammed Ben Youssef va tâter à la rusticité de l’île de Beauté.
Le cortège du sultan parcourt une centaine de kilomètres sur une route de montagne, tout en lacets, et débouche sur un bled paumé au nom exotique pour des Marocains pure souche, Zonza. Là, Mohammed V découvre l’endroit où il devra désormais loger avec sa famille et sa suite : l’hôtel du Mouflon d’Or. Un panneau promet à la clientèle de l’établissement un “confort moderne à des prix modérés”. La publicité est trompeuse. “Le décor était minable, la place mesurée, il s’agissait davantage d’un campement que d’une installation digne de ce nom”, juge le docteur Henri Dubois-Roquebert, le chirurgien de Mohammed V, lors de sa visite au sultan.
Les exilés déambulent au milieu de caisses entassées, certaines faisant office de sièges de fortune, loin, très loin, du lustre du palais royal de Rabat. Moulay Hassan, ironique, parle d’un “eden zonzais”, où tout est “calme, trop calme”. Le prince héritier et son père sont coupés du monde, sans moyens de liaison avec les nationalistes, et ignorent de quoi demain sera fait. “Le temps fraîchit de jour en jour et notre patience, si elle n’est pas à bout, s’épuise à grands flots. Nous passons le jour à attendre la nuit et la nuit, nous dormons, en attendant le jour. Cycle parfait, régulier, tout à fait animal”, philosophe Moulay Hassan. Le sultan tente de maintenir “l’esprit Makhzen”, selon l’expression de Dubois-Roquebert, en reconstituant l’atmosphère du palais royal lors des repas. Dans la salle à manger de l’hôtel, Mohammed Ben Youssef et le prince héritier trônent en tête à tête à la même table, alors que les autres membres de la famille se regroupent à d’autres.
Les premiers temps, le service est assuré gracieusement par des membres du personnel de l’hôtel Crillon. Le palace parisien a voulu ainsi faire un petit geste commercial pour le sultan qui y avait ses habitudes avant son exil. Mais ni la solennité des dîners en famille, ni les serveurs tirés à quatre épingles du Crillon ne peuvent masquer la réalité. L’ex-sultan est bel et bien un prisonnier. Les fenêtres de l’hôtel sont éclairées la nuit par de puissants projecteurs pour contrer toute tentative de se faire la belle, et empêchant, du coup, le sommeil de Mohammed V et de sa suite.

Un colis encombrant
Les exilés souffrant de plus en plus du froid, les autorités françaises décident de les transférer dans la ville de l’île Rousse où le climat est plus clément. Mohammed V y passe trois mois, vivant quasiment reclus à l’hôtel Napoléon Bonaparte. Amaigri, soucieux, déprimé. Le comte Clauzel, qui connaît bien le sultan en tant que conseiller chérifien, découvre un autre homme lorsqu’il lui rend visite. Mohammed V est “prostré, mal rasé”, il paraît “sensiblement plus que les 44 ans de son âge”. “Habitué à une vie active et à la pratique des sports, (il) refusait de prendre l’air et (…) se considérait comme un persécuté”, témoigne-t-il.
Emissaire des autorités françaises, le comte Clauzel est porteur d’un message qui n’est pas fait pour remonter le moral du sultan. Le conseiller chérifien l’informe que le gouvernement français a décidé de le transférer à Madagascar. Le Maroc est en pleine ébullition depuis l’envoi en exil de Mohammed V. La France, qui craint un coup de force des nationalistes, considère que la Corse est encore trop proche du Maroc. Il est impossible d’empêcher les exilés de communiquer avec les indépendantistes marocains, voire avec ceux des autres pays d’Afrique du Nord où le combat antifrançais est commun.
Les autorités françaises se méfient tout particulièrement du prince héritier Moulay Hassan (lire encadré). Selon une note des renseignements, il “entretiendrait une correspondance suivie avec les leaders de l’Istiqlal” par l’intermédiaire d’une boîte postale pas ordinaire : “Une courtisane qu’il rencontrerait dans une maison”, ajoute la note. Solidarité arabe oblige, les autorités françaises craignent aussi “une tentative de la Ligue Arabe de faire évader Moulay Hassan pour l’installer à Tanger (zone internationale à l’époque, ndlr) afin qu’il forme un gouvernement de résistance”. Qui plus est, le général Franco a pris position en faveur du sultan déchu. Un soutien qui entre en ligne de compte dans la décision de l’éloigner.
Mohammed V fait part de son indignation au comte Clauzel, lui expliquant ne pas vouloir faire les frais des bisbilles coloniales entre la France et l’Espagne. Il refuse d’être traité “comme un simple bétail (…) L’enverrait-on au pôle sud la prochaine fois que la France aurait à se plaindre de l’Espagne ?”. Presque, à vrai dire. Les autorités françaises ont songé à l’expédier de l’autre côté de la terre. A Tahiti, histoire de “snooker” Mohammed V définitivement. Mais la France a buté sur l’impossibilité d’une île. Cela lui serait revenu trop cher et on n’a pas trouvé de demeure assez spacieuse au pays des Vahinés pour loger l’ex-sultan et sa smala.

D’une île à l’autre
“DC-4 militaire indicatif FRAFA venant de Brazzaville sur Tananarive 28 ou 29 janvier transporte ex-sultan et suite…”. C’est par ce message lapidaire que le haut commissaire à Madagascar, Robert Bargues, annonce l’arrivée du sultan déchu et de sa famille sur la “Grande île”. Après un périple de 7000 km et plusieurs escales, l’avion transportant Mohammed V, ses deux fils, sa deuxième femme enceinte de six mois et ses huit concubines, atterrit finalement le 28 janvier en matinée à l’aéroport de Tananarive, ville transit à partir de laquelle la famille royale rejoindra sa destination finale, Antsirabé. L’escale, qui est de courte durée, montre à quel point le sultan s’inquiète toujours du sort que la France lui réserve : avant de descendre de l’avion, Mohammed Ben Youssef envoie d’abord son fils aîné, pourtant très malade, en éclaireur. La scène ressemble à un thriller américain. Moulay Hassan descend de l’avion, vêtu d’un costume bleu sombre, lunettes de soleil masquant son regard, scrute les lieux, un peu hésitant sur le terrain avant de remonter dans l’avion rassurer son père. RAS, le sultan peut descendre.
Un thé est servi à l’aérogare, le temps de souffler un peu avant l’ultime étape d’Antsirabé. Là-bas, c’est tout un dispositif qui se met en place pour héberger l’exilé et sa suite. Le centre militaire où il doit être logé est vidé de ses occupants, généralement des retraités militaires venus profiter des bienfaits de cette ville thermale connue pour ses eaux bicarbonatées et sodiques. L’hôte royal est “choyé”, titre en Une un journal malgache : la vaisselle en porcelaine du camp militaire est remplacée par de l’argenterie. On y installe aussi des tapis en laine et des réfrigérateurs, tandis que du personnel malgache, arrivé en renfort, s’affaire en cuisine.
Mais pas de quoi pavoiser. L’accueil est froid. Si Mohammed Ben Youssef avait encore un doute quant à son statut en Corse, Madagascar clarifie les choses. Aucun honneur n’est rendu à l’ex-sultan, comme l’appellent désormais les officiels français. La consigne du haut commissaire Bargues est claire : le souverain “doit être placé sous surveillance stricte police et garde éventuellement troupe sans communication avec l’extérieur” (sic).

Tristes tropiques
Abattu, fatigué par le long voyage, Mohammed V n’est pas au bout de ses peines. Son fils aîné a une fièvre de cheval. Le futur toubib du palais royal, François Cléret, qui n’est alors que simple médecin de la garnison malgache, diagnostique chez le patient un cas d’angine aiguë. Il lui administre, sous le regard inquiet de son pater, de la pénicilline. Le sultan, en djellaba usée, est tellement dans ses petits souliers que le docteur Cléret le prend pour un simple serviteur : “Celui que je prenais pour un domestique m’a demandé si c’était encore de la quinine… De quoi se mêle-t-il ? Ai-je pensé tout bas. Je lui ai dit : ‘Ne vous en faites pas, demain il sera guéri’”, raconte-t-il.
Moulay Hassan s’en remet, mais Mohammed V s’inquiète toujours pour le reste de la famille, sa première épouse Abla et ses trois filles qui doivent le rejoindre sur l’île dans les prochains jours. Il trouve l’endroit “trop exigu” et “inadéquat” pour héberger tant de monde. Et demande à ce qu’on lui trouve un autre endroit. Les Français lui proposent de s’établir à l’hôtel des Thermes d’Antsirabé.
Le sultan donne son accord pour cette solution qui deviendra définitive. Moulay Hassan, lui, n’est guère enthousiaste et parle d’un “établissement qui lui semblait évadé d’un roman de Joseph Conrad annoté par Marcel Proust”. Comprenne qui pourra… Le confort est assuré : un mois de travaux aura été nécessaire pour que le sultan et les 35 personnes de sa suite puissent vivre décemment à l’hôtel des Thermes. Une vingtaine de domestiques malgaches et comoriens, encadrés par un intendant et un maître d’hôtel européens, s’occupent de la suite du sultan. Des véhicules en nombre suffisant sont mis à leur disposition pour les déplacements.
Mohammed V semble “se désintéresser de tout, sauf de ce qu’il appelle sa vie familiale…”, comme le rapporte aux autorités françaises le diplomate Jacques Vandenboomgaerde, interlocuteur principal du sultan. A Antsirabé, “la vie est sans à coups et l’environnement avec ses montagnes usées est plutôt mièvre, ajoutant à la mélancolie du paysage”, décrit Max Jalade, envoyé spécial de Paris-Presse à Madagascar. Le sultan déchu prend ses petites habitudes dans cet univers prêtant plus à la neurasthénie qu’à la jovialité. Pour casser la routine, il se rend parfois dans la capitale, Tananarive, en excursion pour la journée. Vêtu d’un complet gris, nu-tête, les yeux masqués par des lunettes sombres, le souverain consulte son opticien, fait du shopping et mange dans un hôtel de la ville.
Rien n’y fait, il continue à s’apitoyer sur son sort. Il se compare à Abdelkrim Khattabi, cet autre exilé célèbre, et se considère surtout moins chanceux que ses oncles chérifiens, Moulay Hafid, qui finit ses jours à Enghien, à deux pas de Paris, Moulay Abdelaziz à Tanger ou encore au Bey de Tunis, qui a eu droit à un château en France comme résidence.

Moroccan way of life
Le sultan et sa famille sont nostalgiques d’un certain art de vivre marocain. De sang royal ou pas, ils luttent contre la ghorba (l’exil) comme n’importe quel immigré lambda loin de son pays, à l’aide de petits plats et senteurs du bled. C’est ainsi que Mohammed Ben Youssef confie une mission “capitale” au docteur Dubois-Roquebert qui fait de fréquents allers-retours entre le Maroc et Madagascar : lui expédier des pieds de menthe, du guedid, du Oud Qmari, des plats à tajine, des couscoussiers et des poêles à pastilla. Les exilés ont aussi leurs habitudes chez les couturiers locaux qui leur taillent sur mesure la garde robe marocaine classique.
Après quelques mois, “la djellaba du sultan est maintenant familière” pour la population locale. Il est devenu un élément du décor que les autochtones ont l’habitude de croiser le long des grandes avenues menant de l’hôtel des Thermes au centre ville, au marché et aux gargotes des commerçants où il effectue des achats réguliers pour sa famille. Mohammed V arpente souvent ces artères à pied, sa présence n’étonne plus personne, même si l’immense majorité des Malgaches ignore qui il est. Beaucoup pensent qu’il s’agit du “Négus ou du roi Farouk”, signale le journaliste Ignace Dalle.
Sur l’île, à majorité chrétienne, la seule chose qui excite encore la curiosité des habitants, c’est le nombre de femmes du souverain. Il promène tous les soirs sa ribambelle féminine, “par petites fournées”, note le journaliste Max Jalade. Elles restent un mystère pour la population locale qui, de tout le séjour du sultan, ne verra jamais leurs visages. Les femmes du harem avaient débarqué de l’avion toutes vêtues de la même gandoura grise et portant le même sac de voyage. Rien pour les distinguer les unes des autres, si ce n’est un voile de couleur différente masquant leurs minois. Près de deux ans plus tard, au retour d’exil, le harem du sultan embarquera dans le même anonymat. “Celles que nul n’a le droit de regarder s’avancent en file indienne. Sur la liste des passagers, elles seront numérotées de 1 à 23 et deviendront autant de ‘Madame X’”, décrit Max Jalade. Elles “s’engouffrent dans la cabine, relevant les pans de leur djellaba, découvrant de hauts talons et des chevilles gainées de soie”, ajoute le journaliste qui, aux premières loges, verra un tout petit bout de chair du “harem”.
Moins toutefois qu’une cartomancienne d’origine libanaise installée à Madagascar. Elle sera la seule, en dehors du sérail royal, à voir le visage des femmes du harem, qui la consultent régulièrement pour savoir si elles resteront dans les bonnes grâces de leur maître. En dehors des concubines du sultan, la voyante dit aussi la bonne aventure aux princes et aux princesses qui lui rendent visite chaque semaine.

Les 400 coups des princes
Du haut de ses 17 ans, Moulay Abdallah est insouciant, sans le poids des affaires publiques sur les épaules. Moulay Hassan a 25 printemps, veut le pouvoir, mais a le même désir de s’amuser que son jeune frère. Le résultat ? Beaucoup d’heures sup’ et de cernes pour le commissaire et les cinq policiers qui marquent les princes à la culotte. Un rapport de surveillance souligne que “la famille chérifienne, habituée à vivre comme il lui plaît, ignore totalement les horaires en usage chez les Occidentaux (…) Il faut jouir d’une solide santé pour faire face à de telles obligations (…) Or, nous ne pouvons, sans courir de très graves risques, négliger la surveillance de l’ex-sultan et de ses trublions d’enfants !”.
La journée, passe encore. Moulay Hassan et son frère font de la voile, du ski nautique et chassent le canard. Pas de quoi fouetter un chat. Ce sont les “sorties nocturnes trop fréquentes et trop bruyantes” des fils du sultan qui inquiètent leurs surveillants. D’autant que le climat est tendu avec les colons français de Madagascar, qui suivent les évènements au Maroc et s’inquiètent de la présence de la famille royale. Une nuit de janvier 1954, c’est le clash tant redouté. Le prince héritier, son frère et leur cousin Moulay Ali sont attablés à l’une des meilleures tables du Madrigal, une boîte de nuit de Tananarive. Une femme éméchée leur demande de lui offrir le champagne. Le trio s’exécute. Un homme, qui est arrivé accompagné par cette femme, n’apprécie pas le geste. Saoul, il la traite de “maîtresse à bicots”. Puis se met à insulter le trio princier : “Sales bicots”. Bientôt la femme s’y met aussi et couvre d’injures Moulay Hassan, son frère et son cousin. Un policier, qui colle aux basques des princes, les prie de regagner leurs pénates, avant que ça ne tourne à l’incident diplomatique.
Les rapports de surveillance relèvent aussi que le prince et son frère entretiennent des relations avec “quelques jeunes femmes faciles de la ville”. Tant qu’il ne s’agit que de ça, pas de soucis pour les autorités. Par contre, il arrive que cela tourne au vinaigre. Leur cousin Moulay Ali se fait un jour tabasser par un père qui lui reproche de fréquenter sa fille. Le prince héritier et Moulay Abdallah ne lui sont d’aucun secours, au contraire, la mésaventure de leur cousin les fait bien marrer.
Les princes, qui ne veulent pas restreindre leur train de vie même en exil, manquent d’argent. Leur père tient les cordons de la bourse serrés car, la France lui facturant très cher son séjour, il s’inquiète de l’état de ses finances. Moulay Hassan et Moulay Abdallah trouvent cependant une solution : ils vivent à crédit. Ils accumulent ainsi des ardoises chez les couturiers, dans les cafés, etc. Et refusent ensuite de payer leurs dettes. Un beau jour, des commerçants à bout de patience envoient un huissier rendre visite au prince héritier afin d’obtenir leur dû. Moulay Hassan accepte subitement de les payer car il craint que l’affaire n’arrive à l’oreille de son père.
Une autre fois, Mohammed V remet 551 000 francs au prince héritier pour le règlement d’une Renault Frégate. Moulay Hassan préfère garder l’argent “pour la satisfaction de ses menus plaisirs”, note un rapport de surveillance. La société qui a vendu la voiture décide d’envoyer un huissier délivrer une sommation au sultan afin d’obtenir la somme due. Le prince héritier, qui l’apprend, réunit l’argent et paye l’huissier avant qu’il n’informe son père. Encore une fois, c’est la peur du paternel qui a joué.

Mohammed…V comme Victoire
Au bout de 21 mois loin du Maroc, Mohammed V voit le bout du tunnel. Les négociations entre les nationalistes et la France sont presque achevées. Son exil devait mettre fin aux troubles au Maroc. Or ce fut tout le contraire, il a été à l’origine de deux années de violences. C’est que les nationalistes marocains, Istiqlal en tête, ont bien fait leur boulot auprès du peuple marocain, au point que la lutte pour l’indépendance et l’image du roi libérateur sont devenus consubstantiels (lire encadré). Le rétablissement sur le trône de Mohammed V est inévitable. Le sultan le sait et, tout comme son entourage, n’attend plus que l’annonce de la date de son retour.
La bonne nouvelle finit par tomber. Le voyage du retour est fixé au 28 octobre, le jour de l’anniversaire de la naissance du prophète. Mohammed V y voit un signe du destin : “Mon exil se termine le jour du Mouloud. C’est le jour de l’Aïd que j’ai quitté mon pays. Cette coïncidence ne s’explique que par la grâce de Dieu”, déclare-t-il à Max Jalade. Sauf que les voies du seigneur sont impénétrables. Du fait de la météo, le vol est repoussé de deux jours, le temps aussi pour le sultan de faire ses adieux à ses “amis” et fournisseurs malgaches. Il a aussi le temps d’accomplir la prière du vendredi, la dernière pour la route, et de célébrer la fête du Mouloud avec la population musulmane d’Antsirabé. “Le sultan laissera à la population le souvenir d’un homme respectable, courtois et pieux”, note Ignace Dalle. Impossible de remballer toutes les affaires de la famille dans une soute d’avion, une bonne partie des bagages reste donc à Antsirabé. Les jouets de la petite princesse Lalla Amina, née trois mois après l’arrivée de la famille à Madagascar, sont distribués aux enfants des domestiques, et les machines à coudre des femmes du sultan sont données à la ville pour les lépreux. Moulay Hassan, très porté sur la lecture durant ses deux années d’exil, fait don de sa bibliothèque à la Fondation des vieux coloniaux, ne gardant que deux ouvrages. Mais pas n’importe lesquels : Les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand et… la Bible.
Le jour J arrive enfin. Le 30 octobre au petit matin, après un dernier regard sur l’hôtel des Thermes, Mohammed V s’engouffre à bord d’une grosse Ford conduite par son fils aîné Moulay Hassan. Sur la route, le cortège royal est salué tous les 100 mètres par des gardes malgaches. A l’aéroport, le sultan a droit cette fois aux honneurs, rendus par “12 soldats en short et bandes molletières, portant des fusils Lebel avec baïonnettes au canon”, raconte Hassan II dans La Mémoire d’un Roi. Le contraste avec l’arrivée en prisonnier déprimé est frappant. A l’aéroport, le prince Abdellah immortalise avec un appareil photo l’embarquement pour l’album de famille. Il organisera deux semaines plus tard une séance de projection pour toute sa parentèle à l’occasion de la fête du trône, dans le sérail. Alors qu’à l’extérieur, c’est tout un peuple qui fête le retour de son roi.

Portrait-robot Moulay Hassan vu par les Français

Soumis à une surveillance particulière lors de son séjour à Madagascar, le prince héritier fascine et exaspère à la fois ses matons. Dans leurs rapports quotidiens, ils listent les 7 péchés capitaux du futur roi du Maroc.

Roublard
Fin juin 1955, le sultan importe une Buick du Maroc. Elle est volée alors que le prince l’avait assurée quelques jours plutôt. Moulay Hassan réclame 1,8 million de francs à la compagnie d’assurances, qui lui verse au bout de plusieurs rounds de négociations 1,5 million. La police locale soupçonne une escroquerie, mais ne peut rien prouver. Une chose est sûre en tout cas : le prince héritier demande que les papiers d’indemnisation ne mentionnent que 1,1 million. La différence, qu’il veut cacher à son père, devant lui servir à éponger ses dettes. L’assureur refuse de rentrer dans la combine.

Impopulaire
Si la population malgache a de l’estime pour le sultan, elle ne porte pas dans son cœur le fils aîné. Jugé “arrogant”, Moulay Hassan ne cachait pas son mépris à l’égard des autochtones. Sa manière de conduire attise l’hostilité de la population. Un rapport signale que “des enfants malgaches ont à maintes reprises failli être écrasés aux environs du marché par le prince circulant à vive allure (…) Il estimait que les lois ne sont pas faites pour lui”. Certains Français d’Antsirabé menacent même de lui “casser la gueule” s’il vient à bousculer un des leurs.

Evolué
Moulay Hassan impressionne ses interlocuteurs par sa solide culture occidentale. Le prince le sait et ne rate aucune occasion pour étaler son savoir, “en employant des mots savants”, histoire de “prouver sa connaissance des subtilités de la langue française”. “C’est un de ces nombreux évolués que nos facultés fabriquent en série”, ajoute un responsable français non sans paternalisme. Pourtant, durant son séjour à Madagascar, le prince héritier songe surtout à tromper son ennui. Loin des classiques qui vous posent un homme, il lit essentiellement des romans policiers.

Envahissant
Durant toute la période d’exil, le prince héritier est le seul collaborateur de son père. Il lui sert à la fois de conseiller, chef de cabinet, secrétaire particulier, traducteur et même dactylo. Son omniprésence dérange les Français, qui le qualifient de “mauvais génie” de Mohammed V. Jugé “dangereux”, le prince héritier donne des regrets aux Français. Ils considèrent avoir commis une erreur en “ne le séparant pas de son père lorsqu’il était encore temps”.

Provocateur
Contrairement à son père, toujours courtois et mesuré, ou à son frère et à ses sœurs, peu politisés, Moulay Hassan a une opinion arrêtée sur presque tous les sujets. Il n’hésite pas à la livrer publiquement avec, souvent, une bonne dose de provocation. En juin 1954, après avoir écouté la radio du Caire et entendu parler des attentats perpétrés au Maroc, il déclare : “Bientôt, nous assisterons aux incendies des récoltes !”. La prophétie du futur Hassan II n’aura pas lieu. Mais là n’est pas le but de la manœuvre, le prince héritier veut juste “frapper là où ça fait mal (aux Français)”, juge le journaliste Ignace Dalle.

Agitateur
Dès les premiers jours de son arrivée à Madagascar, Moulay Hassan perturbe les gardes français chargés de sa surveillance. L’un d’entre eux attire l’attention de ses supérieurs sur le prince, qui paraît, selon ses termes, “connaître la manipulation et pourrait aisément détenir un poste émetteur dans sa chambre”. Un moyen de liaison éventuel avec le reste du monde. Les craintes du policier français ne sont pas déplacées. Moulay Hassan a fait installer quelques jours plus tôt des antennes à l’extérieur de l’hôtel des Thermes où il loge. Après plusieurs avertissements, il finit par se calmer.

Superstitieux
Une voyante d’origine libanaise installée à Madagascar prédit au prince héritier son accession possible au trône. Or, au même moment, la France envisage l’option Moulay Abdellah pour remplacer son père et éviter Moulay Hassan, jugé incontrôlable. Le prince héritier aurait donc rebondi sur la prédiction de la diseuse de bonne aventure pour remettre son jeune frère à sa place : “Les Français ont pensé à toi parce que tu es une tête vide. Mais sache bien que si tu ne suis pas notre ligne de conduite, nous t’abattrons”. Pas très fraternel.

Pendant ce temps-là… Le Maroc bouillonne
Jeudi 24 décembre 1953, c’est la veille de Noël pour les Français installés au Maroc. A 10 h du matin, une bombe explose au Marché central de Casablanca. L'attentat fait dix-neuf morts et quarante-huit blessés. Pour les nationalistes marocains, c’est une manière de rétorquer à la déportation de Mohammed V. Le choix de la date de l’attentat, une fête religieuse chrétienne, n’est pas anodin puisque, quatre mois plus tôt, Mohammed V a été déporté manu militari la veille de l’Aïd El Kébir. Depuis l’exil forcé du sultan, la résistance, déjà très active, monte de plusieurs crans. Le Maroc, touché dans l’un de ses symboles, est “en deuil”, s’indigne le leader nationaliste Allal El Fassi. La résistance est désormais décidée à en finir avec le protectorat. Assassinats ciblés, poses de bombes, émeutes, soulèvement… tous les moyens sont bons pour frapper les colons, mais aussi les collabos. Ben Arafa, sultan fantoche, est ainsi victime de plusieurs tentatives d’assassinat, dont une trois semaines à peine après l’envoi en exil de son neveu Mohammed V. Idem pour le mentor de Ben Arafa, le puissant et richissime pacha El Glaoui. L’Armée de libération voit le jour, commandée par des figures de la résistance, Abdelkrim El Khatib, Bensaïd Aït Idder et d’autres. Elle sillonne le territoire pour libérer la nation du joug du colonisateur, aidée en cela par les frères d’armes algériens, l’Egypte de Nasser, mais aussi l’Espagne de Franco, isolée du reste de l’Europe depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale. Ces évènements, qui secoueront le pays pendant plus de deux ans, donnent naissance à ce que le Maroc officiel fête encore aujourd’hui : la révolution du roi et du peuple. La France, en réponse au “terrorisme” montant, sème la terreur. La répression bat son plein : emprisonnements à la chaîne, torture, exécution des membres les plus influents de la résistance… Mais rien n’y fait. Les nationalistes continuent de réclamer le retour de l’exilé. Les Français finiront par l’admettre : la déposition de Mohammed V a été une erreur stratégique qui, au lieu d’éteindre le feu nationaliste, l’a au contraire attisé. Les négociations démarrent. Côté Maroc, ce sont de jeunes politiciens comme Abderrahim Bouabid, Ahmed Balafrej ou encore Mehdi Ben Barka qui mènent la danse. Les allers-retours à Madagascar se multiplient. Porté par les leaders nationalistes, le sultan déchu obtient depuis sa terre d’exil l’accord tant attendu : il récupère son trône et le Maroc obtient enfin son indépendance.

Mythologie King side of the moon
Les Marocains aperçoivent Mohammed V sur la lune alors que sa place est encore chaude au palais royal de Rabat. Cette hallucination collective a été savamment orchestrée par les nationalistes qui, fins tacticiens, ont compris que le sultan était le meilleur fer de lance auprès de la masse pour faire aboutir leur désir d’indépendance. Ils ont imprimé des photos du sultan, les ont fait distribuer aux Marocains, avec comme instruction de regarder le portrait de Mohammed V, avant de fixer la lune. Le phénomène de persistance rétinienne a fait le reste. Le sultan sur son cheval blanc s’inscrit sur la rétine des Marocains en tant que messie dont on attend le retour. De son côté, bien que loin d’eux, Mohammed V verse son écot à cette guerre par l’image contre le colonialisme. A son arrivée à Madagascar, il tape quelques balles de tennis avec ses fils. Puis il se reprend. Plus de loisirs inconséquents ensuite. Le sultan, épié par les autorités françaises, ne veut pas prêter le flanc à leur propagande. Pas question de passer pour un prince en villégiature, il doit endosser le costume d’un monarque en exil, austère, pieux, acceptant tous les sacrifices pour la cause nationale. Son retour au Maroc a lieu le 16 novembre, deux jours avant la fête du trône. Le 18 novembre, il profite de la commémoration de son avènement pour annoncer la fin du protectorat, qui ne sera abrogé en fait qu’en mars 1956. En associant Aïd El Arch et l’indépendance, Mohammed V démultiplie la symbolique de la fête du trône. Et le tour est joué.


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